Federico Fellini

Federico Fellini

 
La boursouflure comme finesse absolue   

Federico Fellini reste pour nous « Le plus Grand. » Expression typique et facile « Le plus Grand » car, on ne le sait que trop bien, les films de Fellini étaient beaucoup plus que des mots et des adjectifs et restent encore aujourd’hui rétifs aux analyses et aux cervelles les plus perçantes. Rétifs qu’ils sont encore, ses films, à n’entrer ni dans les grilles syntaxiques et grammaticales ni dans les cadrages, catégories, genres et théories du cinéma.   

Mais ce n’est pourtant pas seulement pour cela que nous aimons Fellini le Grand.   

Certes, l’enfant de Rimini voyait Grand ; dans ses croquis, émergeaient régulièrement ces femmes de dix mètres de haut et, dans ses films, sortaient des terres et des mers, navires Géants, villes Monumentales, mondes inconscients Eléphantesques… Si le Grand public retient aisément de Fellini de volumineuses poitrines féminines comme autant de montgolfières flirtant, fleuretant, avec les cumulus et si la critique cultive avant toute chose la folie échevelée et les clowneries noires du cinéaste, son goût du brouillon, du chaos, du trop plein et du débordement, Fellini n’en était pas moins un cinéaste FIN, INCISIF, INTIME, PRECIS et LUCIDE. Ce n’est pas donc tant qu’il voyait Grand. Il Voyait.   

La boursouflure de Fellini éta it en ce sens, probablement, le Gros Plan par excellence.   

Quand Jonathan Swift grossissait le trait de ses peuples imaginaires, ce n’était pas exactement de la caricature (tout comme les dessins de Fellini n’étaient pas non plus de simples caricatures), c’était un travail au microscope, au plus près de la peau et de « derrière la peau » même: notre monde personnel enfoui. Et si on reproche facilement à Fellini de n’avoir jamais considéré autrement ses interprètes que comme des marionnettes, c’est que, précisément, il y avait chez lui un rapport on ne peut plus tactile, manuel, artisanal, charnel, et finalement très humain avec ce et ceux qui l’entouraient. 

Fellini auscultait ses interprètes avec l’oreille, les agrippait et les touchait avec poigne et doigté, les secouait, les maquillaient, lui-même, les travestissait, les révélait, les bouleversait. Nous bouleversait. Fellini n’était pas un Alfred Hitchcock écrasé à distance dans un fauteuil, mais un être debout, attentif et sautillant, captivé par la diversité du monde, captivé par les corps, les postures, les visages, les regards. Il n’y a qu’à voir à travers les films et les photographies de l’homme la profondeur généreuse et caverneuse du regard même de Fellini.   

Et si Fellini refusait résolument de conclure ses films par le mot «Fin » c’est que sa finesse et sa générosité étaient la finalité même, que la lueur de sa lucidité passait non par des mots, non par des conclusions manichéennes, mais par des points de suspension, ponts suspendus, ponctuations accrochées aux nuages, ponctions dans le corps du langage et du monde.   

Philosophie, politique, de la poétique, l’art de Fellini révélait de manière incisive les grosseurs et béances de nos civilisations et ses fantasmes les plus nuageux et les plus concrets. Le seul mensonge de Fellini est de s’être autoproclamé menteur ou imposteur, car il était en réalité un accoucheur des salles obscures, un homme révélateur des sociétés.   

Ce site pédagogique, le premier en France, lui est entièrement dédié. Nous remercions chaleureusement Sylvie Sibra, auteur d’une thèse de doctorat en cours sur Federico Fellini à l’Université Toulouse II, d’avoir su partager si haut et si fort ses recherches… 


Alexandre Tylski
Directeur de la revue Cadrage 
Fondateur de www.federico-fellini.net 

LINK